Quelqu’un te suit parfois en silence.
Les choses jamais dites
se transforment en actes.
Tu traverses la nuit avec le rêve dans tes mains
mais l’autre, implacable,
ne t’abandonne pas :
lutte contre l’irréalité,
la fausse vie où tout est crépuscule.
Fragile persécuteur que tu es toi-même,
tu as été obligé de l’être, pour t’effacer,
miroir minutieux, qui n’oublies pas
ce que reflète le temps,
ni comment il dessine
les lignées
des instants que tu consumes
quand tu es responsable
d’un autre jour qui t’envahit
comme la mer chaque nuit
remplit ton corps amer.
Quelqu’un parfois te suit en silence
prend ta volonté, dicte aux heures
la forme de son sablier,
les dispose au combat.
Et elles tombent et tu vaincs les années comme des épis
comme le fleuve sans présence
que le vent de son très long pas a dominé.
Quelqu’un qui n’est pas toi
vit cette vie
pour que tu la vives,
et que tu puisses sentir souvent que ce passé est tien,
cette histoire de tous,
cette matière légère qui a tissé celui qui immole
lettres, mots, syllabes endormies
où te rencontre l’autre
et voit tomber précises
toutes ses volontés :
ce qu’il a vécu c’est ta vie,
il a ton nom et parle par ta bouche.
Et, comme toi, il est seul
contre un dialogue immobile
qui ne communique rien
mais qui sépare, scinde
dans ce monde blessé
que nous formons en tous
pour être prison, peur,
douleur, unique
forme de vivre,
clef étroite
d’autres heures analogues à celles d’autrefois.
José Emilio Pacheco, « Contra un diálogo inmóvil/Contre un dialogue immobile », Le lever de la mer, Écrits des forges, 1994, traduction de Denys Bélanger.